2022 - Loyle Carner - hugo [24-96]
S'il a fait sensation en 2017 en débarquant
à tout juste vingt-deux ans avec Yesterday's Gone,
premier album salué unanimement par la critique,
puis confirmé l'essai avec son second opus de 2019,
Loyle Carner séduisait avant tout par sa fraîcheur
et sa capacité à moderniser un rap à l'ancienne,
basé sur des samples de jazz, des textes chiadés
Ses productions de qualité, sa belle gueule
et son charisme imparable en ont fait
un de nos gars-sûrs du hip-hop britannique.
Loyle Carner, qu'on a connu chantre du cool
et des ambiances laidback, prend d'entrée l'auditeur
à contre-pied avec Hate, titre d'ouverture tout en tension.
Sur une production flirtant avec l'électronique
et où les breaks de batterie
martèlent les tympans, l'anglo-guyanais
délivre un texte politique
très sombre avec un flow incisif.
L'album part sur les chapeaux de roues,
mais c'est avec Ladis Road basé sur un sample
de Nobody Knows de Pastor T. L. Barrett's,
flamboyante pépite de gospel soul de 1971,
que Carner impressionne le plus.
Puissant et émouvant, jubilatoire et mélancolique,
ce morceau nous fait passer par toutes les émotions
et s'impose comme un des meilleurs titres
de hip-hop de l'année,
toutes catégories et tous pays confondus.
On n'avait jamais entendu Loyle Carner à un tel niveau
avant ce petit chef d'œuvre suave et intemporel.
Après une telle entrée en matière,
le rappeur ne faiblit pas et parvient à garder le rythme.
Introduit et clôt par un sample du poète guyanais John Agard
et produit par la légende du rap US Madlib,
Georgetown confirme la veine engagée
de cet album et la recherche de sons plus rentre-dedans
tout en conservant une belle complexité.
Avec sa petite boucle en forme de ritournelle
et sa boîte à rythmes sèche, Speed Of Plight
calme le jeu tout en distillant sa rage contenue
pour un résultat entêtant et addictif.
Après seulement quatre morceaux, force est de constater
que l'anglais a sacrément musclé son jeu.
Il va alors nous prouver qu'il n'en n'a pas pour autant
perdu son style.
Ses fameuses orchestrations jazzy, véritable signature
des deux premiers opus du londonien
sont de retour sur Homerton.
La jeune Olivia Dean vient y déposer sa voix de velours
toute en sensualité soul et tient haut la main
la comparaison avec la grande Jorja Smith,
invitée sur Not Waving, But Drowning.
On croit alors avoir tout vu, mais il ne faut guère plus
qu'une boucle vocale incantatoire et quelques notes
de piano à Loyle Carner pour faire de Blood On My Nikes
un des sommets de hugo, sombre et intense.
Armé d'une basse tout en rondeur et d'arrangements jazz,
Plastic déroule son groove nonchalant.
Débutant en mode pilote automatique, on craint un instant
le trou d'air avant que le morceau ne mute à mi-parcours
à coup de salvateurs synthés rétrofuturistes lui apportant
une belle dose d'étrangeté.
On retrouve le Loyle Carner des débuts sur l'introspectif
A Lasting Place avec sa formule minimaliste piano-beat-voix
et le délicat Polyfilla avec son boom-bap rehaussé
de chœurs de chorale.
Si ces deux titres ont un petit goût de déjà-vu
ils n'en demeurent pas moins extrêmement émouvants.
Le rappeur ressort les crocs sur HGU, ultime titre,
où son flow rageur fait mouche et prend un relief
tout particulier sur cette douce instrumentation.
Alors que la plupart de ses confrères sortent
des albums à rallonge pour booster les chiffres du streaming,
Loyle Carner fait le choix, aujourd'hui radical,
de ne proposer que dix titres d'une durée totale
de tout juste trente-quatre minutes.
Avec ses morceaux d'une folle variété stylistique,
à la production ambitieuse et inspirée
et aux textes furieusement politiques,
hugo impressionne de bout en bout sans jamais montrer
le moindre signe de faiblesse.
On peut l'affirmer haut et fort et sans aucune réserve,
on tient ici le meilleur album de rap anglais de l'année.
Avec hugo, Loyle Carner vient tout simplement de plier le game.